Dur dur d’avoir dix-huit ans. On quitte le nid douillet de l’école secondaire pour entrer dans la réalité des études postsecondaires ou du marché du travail, parfois au prix d’un déménagement loin de la famille. En plus, on est toujours taraudé par les questionnements identitaires propres aux adolescents : Qui suis-je? Quelles sont mes croyances? Où vais-je? Comment dois-je vivre ma vie?
Pour les nouveaux adultes atteints d’une cardiopathie congénitale, il y a une autre transition à faire. Il est en effet temps de quitter l’ambiance familière des soins pédiatriques pour le nouveau monde des soins pour adultes.
Cette transition est un problème relativement nouveau. Jadis, les enfants nés avec une cardiopathie se rendaient rarement à l’âge adulte. Puis, à partir d-aes années 1970, les progrès de la médecine et de la chirurgie ont changé la donne. Aujourd’hui, 90 % de ces enfants vivent de longues vies en santé. Le problème, c’est que près d’un quart d’entre eux ne font pas la transition vers les soins pour adultes.
Cela s’explique de plusieurs façons. Parfois, les patients se sentent bien et ne voient pas la nécessité de continuer à recevoir des soins. D’autres fois, comme bien des jeunes, ils se sentent invincibles. Autre possibilité : habitués à être pris en charge par leurs parents, ils ne sont peut-être pas prêts à prendre leurs soins en main. Ou alors, il peut y avoir des raisons qui n’ont rien à voir avec leur santé, mais qui tiennent plutôt à leur vie personnelle. Par exemple, les patients qui éprouvent des difficultés à la maison (divorce des parents, instabilité, etc.) sont plus à risque de ne pas faire la transition.
Dans l’Est ontarien, la transition vers les soins pour adultes est aussi un passage du Centre hospitalier pour enfants de l’est de l’Ontario (CHEO) à la Clinique de cardiopathie congénitale de l’adulte (CCCA) de l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa (ICUO).
Aider tous les patients à faire la transition
Il peut être difficile de savoir quels patients se présenteront à l’ICUO et lesquels cesseront les soins. C’est pourquoi Lynne Lynch, coordonnatrice de soins au CHEO, et Joanne Morin, infirmière de pratique avancée à la CCCA, s’intéressent non seulement aux patients vulnérables, mais à tous les patients.
Chaque année, une centaine de patients font la transition vers la CCCA. Bon nombre n’ont que des problèmes mineurs nécessitant un simple suivi, tandis que d’autres ont des problèmes plus complexes. Quoi qu’il en soit, dit Mme Lynch, « Nous voulons nous assurer qu’ils ne tombent pas entre deux chaises. »
La préparation des patients à la transition commence tôt, à 14 ou 15 ans, selon leur degré de maturité, explique-t-elle.
La première étape consiste à les inviter à mieux comprendre leur problème et les soins qu’il nécessite. Pendant toute leur vie, leurs parents se sont occupés de tout ce qui a trait à leur santé : prendre les rendez-vous, les reconduire à la clinique, s’assurer qu’ils prennent leurs médicaments et qu’ils subissent tous les examens nécessaires, etc. Or, comme le fait remarquer Mme Lynch, « papa et maman ne seront pas toujours là ». Il est donc crucial de préparer les patients à prendre leur propre santé en main.
Cela dit, même avec toute la préparation du monde, Mme Lynch confie que chaque départ est comme « une déchirure ». Après tout, ils quittent un milieu familier et des gens qui font partie de leur vie depuis toujours.
Le B-A-BA de la transition
Le moment de la transition venu, le patient se rend à un dernier rendez-vous au CHEO pour faire une batterie d’examen complète, puis il rentre à la maison avec les coordonnées de la Clinique de cardiopathie congénitale de l’adulte, même si en temps normal, cette dernière devrait déjà être entrée en communication avec lui. Si le patient quitte la province, le CHEO et la Clinique travailleront de concert pour lui trouver les coordonnées d’un centre près de son nouveau lieu de résidence.
S’il reste à Ottawa, Joanne Morin entre en scène. Dès qu’elle reçoit un avis du CHEO, elle commence à préparer la transition en créant une trousse de documentation complète et en communiquant avec le patient pour fixer un premier rendez-vous.
Toutefois, même cette étape peut se révéler difficile. En effet, l’une des plus grandes différences entre les soins pédiatriques et les soins pour adultes, explique Mme Morin, c’est qu’en raison des lois sur la protection de la vie privée, la Clinique ne peut plus communiquer avec les parents, à moins que le patient ait donné son accord explicite à cet effet.
Il faut chercher un équilibre, dit-elle. D’une part, l’ICUO offre des soins axés sur le patient. C’est un changement subtil, mais important par rapport aux soins axés sur la famille du CHEO. D’autre part, il faut bien comprendre que les familles ne disparaissent pas soudainement du portrait.
« On ne peut pas séparer les patients et leur famille à ce moment », confirme Mme Morin.
Par ailleurs, selon la sévérité et la complexité de l’anomalie cardiaque, l’attente pour le premier rendez-vous médical pourrait être d’un an, voire plus. Cette longue attente représente un obstacle de plus pour la réussite de la transition. C’est pourquoi Mme Morin suggère toujours aux patients de venir la voir bien avant le premier rendez-vous médical pour faire une visite de la Clinique et prendre connaissance du nouveau système.
Nouvel âge, nouvelles expériences, nouvelles priorités
Au CHEO, note Mme Morin, tout est concentré en un même endroit : bureaux des médecins, salles d’examen, accès aux autres professionnels de la santé. À l’ICUO, c’est plus compliqué, car les services sont disséminés dans tout l’Institut.
De plus, comme le souligne Mme Morin, les patients font maintenant face à des questions d’adultes, du type sexe, drogues et rock ’n roll, combien de tatouages est-ce que je peux avoir? », etc. Mme Lynch ajoute que même si le dernier mot revient aux jeunes, il est important d’établir une relation de confiance avec eux pour qu’ils restent ouverts aux conseils.
L’une des difficultés auxquelles la Clinique est confrontée est la question de la communication avec une génération qui n’a généralement pas de téléphone fixe et qui utilise rarement son téléphone cellulaire pour faire ou recevoir des appels, préférant texter.
« Nous sommes en retard dans notre façon de communiquer avec les jeunes patients », concède Mme Morin. Néanmoins, ajoute-t-elle, la Clinique s’efforce de joindre les patients par leur moyen de communication préféré, et Mme Lynch et elle-même continuent de travailler à adoucir la transition parfois difficile vers les soins pour adultes.