Innovations dans le traitement des crises cardiaques

13 juin 2011

En conversation La récente conférence Cardiovascular Research Technologies, tenue à Washington, D.C., a souligné le succès des nouvelles stratégies d’intervention d’urgence dans les cas d’infarctus du myocarde avec élévation du segment ST (STEMI) qui permettent de sauver de nombreuses vies. The Beat a profité de l’occasion pour faire le point sur les innovations dans le traitement des crises cardiaques avec le Dr Michel Le May, fondateur du programme STEMI de l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa (ICUO). Ce protocole médical complexe est mis en branle dès la réception d’un appel 9-1-1 par les services d’urgence et a permis de réduire de 50 p. 100 la mortalité associée aux crises cardiaques.

Le bulletin « The Beat » : Le point à retenir est qu’il est important d’intervenir rapidement dans les cas de STEMI, mais que cela ne suffit pas. Pourquoi?

Dr Le May : Nous savons que le délai « porte-ballonnet » est un prédicteur fiable de la survie à un STEMI – c’est-à-dire le temps écoulé entre le moment où les ambulanciers arrivent au domicile du patient et le moment où le patient subit une angioplastie par ballonnet avec pose d’endoprothèse pour rouvrir les artères obstruées et restaurer le flux de sang et d’oxygène vers le cœur. Mais une action rapide n’est pas suffisante. Il faut faire plus. Nous devons aussi offrir d’excellents soins aux patients après l’angioplastie d’urgence, ou intervention coronarienne percutanée (ICP).

Nous recevons aussi des cas de STEMI qui sont très complexes – des patients en arrêt cardiaque nécessitant une hypothermie thérapeutique, des patients insuffisants rénaux requérant une dialyse ou encore des patients en état de choc devant subir un pontage coronarien. Un hôpital de soins tertiaires doit pouvoir intervenir efficacement dans toutes les situations et assurer une prise en charge efficace du patient de l’admission jusqu’au congé.

Le bulletin « The Beat » : On parle donc ici d’un programme de soins complets pour les patients victimes d’un STEMI?

Dr Le May : À l’Institut de cardiologie, nous allons au-delà des soins d’urgence. Il y a d’abord l’Unité de soins coronariens, où les infirmières, le personnel, les chirurgiens cardiologues et d’autres intervenants s’occupent des patients en phase critique. Puis d’autres équipes prennent le relais après le congé du patient. L’équipe de réadaptation cardiaque joue un rôle essentiel pour favoriser le rétablissement du patient, son retour au travail et son bien-être physique et psychologique. Nous offrons un programme d’abandon du tabac pour aider les fumeurs à cesser de fumer. Nous aidons aussi les patients qui en ont besoin à gérer leur taux de cholestérol en leur donnant des conseils et en assurant une bonne communication avec leur médecin de famille. Au moment du congé, nous fournissons aux patients de l’information détaillée sur les médicaments, leur rôle et la façon de les prendre et nous les sensibilisons à l’importance de poursuivre leur traitement.

Nous répondons aux préoccupations des patients concernant le retour sécuritaire au travail, la conduite d’un véhicule automobile, la sexualité et la reprise des activités sexuelles. Certains patients victimes d’un STEMI peuvent souffrir de dépression. Un soutien psychologique et psychiatrique est fourni au besoin. Nous comprenons et nous tenons compte de l’importance du conjoint et de la famille.

Le bulletin « The Beat » : Tous les hôpitaux ne peuvent pas offrir le même éventail de services. Dans quelle mesure le modèle de l’Institut de cardiologie peut-il être reproduit?

Dr Le May : Les hôpitaux peuvent reprendre une partie du programme et certaines de nos mesures. Par exemple, ils peuvent adopter nos lignes directrices sur l’abandon du tabac et sur la gestion du cholestérol et d’autres outils d’orientation. Ils n’ont pas la capacité d’offrir des soins chirurgicaux d’urgence, des transplantations cardiaques et des implantations de dispositifs d’assistance ventriculaire, mais ils peuvent certainement s’occuper de 90 à 95 p. 100 des patients en région. Nous encourageons d’ailleurs les régions à mettre en place leur propre système à partir des protocoles qui sont appliqués ici.

Notre modèle est maintenant implanté ailleurs au pays. Par exemple, Calgary, Edmonton et Vancouver ont emboîté le pas et ont mis en œuvre un programme adapté à leur environnement. Ils ont élaboré des approches pour assurer le transport des patients et l’acheminement en temps opportun aux centres de soins tertiaires qui tiennent compte de leurs caractéristiques régionales. Des villes comme Vancouver et Montréal doivent gérer les contraintes liées à la présence de plusieurs ponts, aux heures de pointe et aux embouteillages et trouver des solutions pour que les patients victimes d’un STEMI soient traités dans le délai le plus court possible. Tous les intervenants doivent travailler en collaboration et adapter le programme en fonction de leurs besoins particuliers.

Le bulletin « The Beat » : Comment favoriser l’établissement de liens de collaboration efficaces entre les intervenants?

Dr Le May : Il est important de mettre à profit l’expertise des directeurs de programme qui connaissent du succès et d’organiser des symposiums et des ateliers où les chefs de file du programme STEMI peuvent partager leur expérience. La participation de représentants de tous les secteurs du système de soins est indispensable. Au cours du processus d’élaboration de notre programme, maintenant implanté dans 22 hôpitaux de la région de Champlain, il y avait toujours un représentant de chacun des services de l’Institut de cardiologie. Les administrateurs, les services paramédicaux, le personnel des soins intensifs, l’Unité de soins coronariens et les coordonnatrices des soins infirmiers ont tous contribué à concevoir le meilleur programme possible pour les différents services des urgences.

Tout doit être organisé, structuré, encadré, surveillé et évalué. Il faut recueillir des données et obtenir des rétroactions sur le programme quotidiennement. Cela est essentiel pour faire le point et identifier ce qui fonctionne bien, mais aussi ce qui fonctionne moins bien afin de résoudre les problèmes et d’améliorer l’efficacité du programme.

Le bulletin « The Beat » : Quelles sont les prochaines étapes pour le programme STEMI?

Dr Le May : Nous travaillons actuellement à un programme d’hypothermie thérapeutique pour les patients qui font un arrêt cardiaque consécutif à leur infarctus. L’hypothermie thérapeutique est un procédé qui consiste à abaisser la température corporelle jusqu’à 32 degrés Celsius pendant une période de 24 heures en vue de minimiser les dommages cérébraux associés à un arrêt cardiaque. C’est un peu le même principe que lorsqu’on applique de la glace sur une blessure pour diminuer l’inflammation. Le refroidissement par hypothermie thérapeutique permet de réduire l’enflure du cerveau et de bloquer le processus qui conduit à la destruction des cellules cérébrales. Un refroidissement très précoce pourrait aussi contribuer à prévenir les lésions myocardiques.

L’hypothermie thérapeutique est pratiquée à l’Institut de cardiologie depuis maintenant plus d’un an. À ce stade, nous travaillons à l’élargissement du programme aux services des urgences, et la formation des médecins et du personnel est en cours. Nos ambulanciers recevront aussi une formation pour amorcer le refroidissement pendant le transport du patient à l’hôpital. Les données suggèrent de meilleurs résultats lorsque le refroidissement est amorcé rapidement.

Le bulletin « The Beat » : Qu’en est-il de la recherche? Y a-t-il de nouvelles études cliniques sur le traitement des crises cardiaques à l’Institut de cardiologie?

Dr Le May : Au cours des prochaines années, une de nos priorités de recherche sera de déterminer la meilleure approche entre la voie fémorale et la voie radiale pour les ICP. Nous voulons savoir si le choix de l’approche fait une différence et comprendre en quoi et pourquoi. L’approche radiale est associée à une moindre fréquence de complications hémorragiques que l’approche fémorale, notamment parce que la compression est plus facile à réaliser au niveau du poignet. Il reste toutefois à établir si l’ICP par voie radiale peut être effectuée aussi rapidement et de façon aussi efficace que l’ICP par voie fémorale.

Nous avons aussi fait des recherches sur de nouveaux médicaments. Nous utilisons maintenant un nouveau type de médicament qui permet de réduire les saignements. Les hémorragies peuvent entraîner un état de choc ou nécessiter une transfusion sanguine et nous savons que les saignements peuvent influencer la survie. Si nous devions cesser de prescrire des médicaments importants comme l’aspirine et le clopidogrel après une ICP à cause du risque de saignement, cela augmenterait la probabilité de formation de caillots sur les endoprothèses. En l’occurrence, nous visons à minimiser les saignements. Pour les patients gravement atteints, il y aura aussi de nouvelles études cliniques sur les approches thérapeutiques utilisant les cellules souches et d’autres techniques de régénération tissulaire pour réparer le tissu cardiaque.

Nous pensons toujours qu’un plateau a été atteint et qu’il n’est plus possible de progresser davantage. Mais nous pouvons toujours aller plus loin, et c’est ce que nous nous employons à faire en menant des efforts sur tous les fronts.