Collaboration dans des pays en forte croissance : créer une communauté pour une technique chirurgicale révolutionnaire

29 mai 2012

Pour qu’une nouvelle technique innovante s’enracine au sein de la communauté chirurgicale mondiale, elle doit avoir une communauté de pratique. « Une communauté de chirurgiens qui l’utilise régulièrement, qui peut en discuter et qui élabore de nouvelles approches et astuces liées à sa pratique, explique le Dr Marc Ruel. Une technique ne peut se développer que si un grand nombre de personnes la mettent en pratique. »

Le Dr Ruel, chirurgien cardiologue et titulaire de la chaire de recherche en chirurgie cardiaque à l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa (ICUO), et son collègue, le Dr Joseph McGinn , de l’Hôpital universitaire de Staten Island aux États-Unis, ont introduit une telle technique révolutionnaire en 2005, appelée « pontage aortocoronarien à effraction minimale ».

Dans le pontage aortocoronarien standard, le chirurgien doit faire une incision de 25 centimètres dans la poitrine – suffisamment large pour laisser passer une main – et briser plusieurs côtes. Le pontage aortocoronarien à effraction minimale, lui, ne requiert qu’une toute petite fenêtre d’incision de 4 centimètres entre deux côtes. Le chirurgien utilise des outils spéciaux pour délicatement mobiliser le cœur et amener à la vue chacune des artères à ponter.

Quand on le compare au pontage aortocoronarien standard, le pontage aortocoronarien à effraction minimale présente plusieurs avantages qui le rendent attrayant dans le  contexte indien.

La version précédente du pontage aortocoronarien à effraction minimale n’arrivait pas à reproduire les résultats de l’intervention chirurgicale standard, mais les améliorations apportées au cours des sept dernières années ont donné lieu à une technique à effraction minimale qui permet de ponter des vaisseaux sanguins de la même façon qu’une intervention chirurgicale plus effractive.

Aujourd’hui, le Dr Ruel travaille à bâtir une communauté de pratique pour cette nouvelle intervention. Il explique qu’actuellement, seulement une douzaine de chirurgiens dans le monde, formés par lui ou par le Dr McGinn, utilisent la technique de façon régulière. (Bien qu’elle soit sûre et efficace, la technique à effraction minimale est encore difficile à apprendre.) Mais ce nombre est appelé à augmenter rapidement à la suite de la visite éclair de 5 jours que le Dr Ruel a faite en Inde en janvier où il a formé plus de 250 chirurgiens cardiologues d’expérience à cette technique.

Le lourd fardeau de la maladie coronarienne

Des chirurgiens des hôpitaux STAR en Inde ont approché directement le Dr Ruel pour savoir s’il pouvait venir en Inde donner une série de séminaires. On espérait ainsi permettre à un maximum de médecins intéressés d’être formés au lieu d’envoyer seulement quelques-uns d’entre eux au Canada pour suivre la formation.

« L’Inde est aux prises avec un grave problème de maladie coronarienne, en grande partie en raison de facteurs génétiques, explique le Dr Ruel. On évalue que le pays abrite jusqu’à un tiers des cas de maladie coronarienne dans le monde. Les chirurgiens cardiologues y sont donc très compétents et très novateurs. » Il ajoute que pour la plupart des patients indiens, le pontage aortocoronarien est souvent l’option de prédilection par rapport à l’implantation d’une endoprothèse, parce que le pontage est plus durable; seulement 25 p. 100 des patients qui subissent un pontage ont par la suite besoin d’une autre intervention. L’implantation d’endoprothèse est l’approche standard utilisée dans les pays développés, mais elle est associée à un taux plus élevé de nouvelle intervention et nécessite que les patients prennent des médicaments quotidiennement pour garder leurs endoprothèses ouvertes. Ces problèmes incessants de gestion des patients sont plus difficiles à gérer dans le contexte propre à l’Inde.

Quand on le compare au pontage aortocoronarien standard, le pontage aortocoronarien à effraction minimale présente plusieurs avantages qui le rendent attrayant dans le contexte indien. Le temps de rétablissement est moins long, ce qui permet aux patients de quitter l’hôpital plus tôt et de retourner au travail plus rapidement; c’est important dans un pays où un grand nombre de personnes n’ont ni assurance-maladie ni assurance-invalidité. Qui plus est, le taux d’infection des plaies est beaucoup moins élevé avec la technique à effraction minimale, et « on n’a encore vu aucune infection profonde de la plaie », ajoute le Dr Ruel.

Par ailleurs, l’intervention à effraction minimale coûte environ 25 p. 100 de plus, mais elle se traduit par d’importantes économies par la suite. Et même si le pontage aortocoronarien à effraction minimale coûte plus cher au départ que le pontage aortocoronarien standard, il est beaucoup moins coûteux que la chirurgie cardiaque robotisée, une autre approche à effraction minimale utilisée de nos jours. Un autre avantage par rapport à l’intervention chirurgicale robotisée, c’est que cette dernière ne peut être employée que pour ponter un ou deux vaisseaux sanguins, tandis que le pontage aortocoronarien à effraction minimale permet de ponter autant de vaisseaux qu’une intervention à cœur ouvert. « Avec le pontage aortocoronarien à effraction minimale, le travail à l’intérieur du corps est le même que celui d’un pontage standard; mais à l’extérieur, la plaie et l’incapacité physique qui s’en suit sont grandement diminuées », souligne le Dr Ruel.

Des chirurgiens doués

Pendant son séjour de cinq jours, le Dr Ruel a formé des chirurgiens de cinq hôpitaux répartis dans trois villes : Indore et Nagpur (où il a offert une formation dans les trois hôpitaux), toutes deux en Inde centrale, et Hyderabad, plus près de la côte est du pays. Dans chaque hôpital, il a fait la démonstration du pontage aortocoronarien à effraction minimale sur de vrais patients. Avec une caméra vidéo et un microphone attachés au front, il a pu montrer et décrire l’intervention en temps réel à des groupes pouvant réunir jusqu’à 125 chirurgiens, qui pouvaient poser des questions tout au long des démonstrations.

Certains médecins ont même fait plus que poser des questions. À Hyderabad, le Dr Gopichand Mannam, chirurgien en chef, a vite sauté le pas. « Je devais faire une autre intervention, se souvient le Dr Ruel, et je lui ai demandé : “Voulez-vous la faire?” Ce à quoi il a aussitôt répondu : “Certainement, j’adorerais ça!” Il a donc pris la caméra vidéo devant 125 de ses collègues et il a fait l’intervention. Et il a réussi haut la main, il s’est souvenu de tout ce que j’avais fait. »

« Il lui a fallu un niveau d’attention et de concentration que j’ai rarement vu, ajoute-t-il. Les chirurgiens de l’Inde sont très compétents; ils sont constamment face à la maladie coronarienne, c’est une part importante de leur pratique. Le pontage aortocoronarien à effraction minimale n’est pas une intervention pour tous les chirurgiens, mais je pense que nous avions le bon groupe de chirurgiens qui l’adopteront. »

« C’est très important d’avoir une plus vaste communauté de chirurgiens pour parvenir à développer cette technique, et avec ce voyage, je pense que nous avons réussi à l’élargir », rapporte le Dr Ruel. « Le pontage coronarien [traditionnel] est une formidable intervention. Le problème, c’est qu’elle est très effractive. Il est temps maintenant, après 30 ou 40 ans – alors que les fondements du pontage aortocoronarien sont bien établis – de travailler sur son caractère effractif. Cette intervention n’est peut-être pas l’ultime réponse, mais elle constitue certainement un grand pas en avant. »

Le Dr Ruel prévoit déjà se rendre au Japon l’été prochain pour offrir ce même type de séminaire et former d’autres chirurgiens qui viendront grossir les rangs de la communauté du pontage aortocoronarien à effraction minimale. Il prévoit aussi avec ses nouveaux collègues de l’Inde une visite de suivi pour explorer la technique encore plus à fond.

« L’objectif serait de faire une nouvelle visite dans un ou deux ans et de présenter ce que nous pourrions appeler “Pontage aortocoronarien à effraction minimale 201”; la récente visite était davantage un “cours 101”. Le premier niveau porte sur l’innocuité et l’efficacité de la technique, tandis que le second niveau vise à rendre la technique plus simple et plus routinière. »