Survivre et s’épanouir avec un cœur mal formé

23 juin 2014
Joanne Morin, APN, and Luc Beauchesne, MD
Le Dr Luc Beauchesne et l’infirmière de pratique avancée Joanne Morin dirigent la Clinique de cardiopathie congénitale de l’adulte de l’Institut de cardiologie. L’étroite collaboration entre la Clinique et le Centre hospitalier pour enfants de l’est de l’Ontario (CHEO) minimise l’attrition de ces cas complexes lors de la transition des soins pour enfants aux soins pour adultes.

[Note de la rédaction : Cet article est une mise à jour d’un reportage plus ancien.]

Près d’un enfant sur cent naît avec une certaine forme de cardiopathie congénitale. Dans les années 1950, environ 15 p. 100 seulement de ces enfants atteignaient l’âge de 18 ans. Aujourd’hui, grâce aux progrès qu’ont connus les traitements et la chirurgie réparatrice, près de 90 p. 100 des patients souffrant de cardiopathie congénitale atteignent l’âge adulte.

En retour, ce progrès remarquable pose de nouveaux défis avec une population sans cesse croissante de patients atteints de cardiopathie congénitale de l’adulte . Plusieurs de ces patients doivent être suivis de manière continue tout au long de leur vie, et la plupart peuvent avoir besoin d’une autre intervention à l’âge adulte pour préserver leur fonction cardiaque. C’est le rôle de la Clinique de cardiopathie congénitale de l’adulte de l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa (ICUO) de s’occuper de ces cas complexes.

Une anomalie congénitale se définit comme toute malformation du cœur présente à la naissance. Certaines de ces malformations, comme un petit trou entre les deux cavités du cœur (communication interventriculaire), sont faciles à réparer et ont peu de conséquences durables sur la santé du patient. Par contre, d’autres sont très complexes, comme la transposition des gros vaisseaux, qui se caractérise par l’inversion des artères qui acheminent le sang vers l’aorte et les ventricules. Cette inversion fait en sorte de retourner à l’organisme du sang pauvre en oxygène et doit être corrigée quelques jours après la naissance.

« Il existe quelque 20 ou 30 syndromes cliniques ou anomalies anatomiques qui entrent dans la catégorie de la “cardiopathie congénitale”. Cela en fait un domaine assez complexe, puisque chacun a ses propres complications quant aux problèmes qu’il cause et à la façon de le corriger », explique Luc Beauchesne , M.D., qui dirige la Clinique de cardiopathie congénitale de l’adulte depuis 2001. Bien que la majorité des cas de cardiopathie congénitale soient diagnostiqués avant l’âge de 18 ans, de 10 à 15 p. 100 se révèlent plus tard.

Ce large éventail de malformations peut produire un éventail tout aussi large de conséquences médicales. Alors que certains patients peuvent souffrir d’insuffisance cardiaque traitable à l’aide de médicaments, d’autres auront besoin d’une transplantation. Des patients souffrent principalement d’anomalies du rythme cardiaque ( arythmies ), alors que d’autres sont aux prises avec un trop fort débit sanguin dans les poumons et développeront tôt ou tard une hypertension pulmonaire. Les patients qui ont des problèmes de valvule cardiaque ou une anomalie au niveau de l’aorte doivent subir une intervention chirurgicale corrective.

« Le traitement des anomalies congénitales englobe la cardiologie clinique, et chaque patient est différent; même pour un même diagnostic, il existe plusieurs façons de traiter un patient », explique le Dr Beauchesne. Des progrès énormes ont été réalisés en matière de technique chirurgicale, d’anesthésie, d’intervention non chirurgicale et d’imagerie, et ces progrès nous permettent d’observer de bien meilleurs résultats chez les enfants atteints de cardiopathie congénitale et une augmentation constante du nombre d’adultes vivant avec une cardiopathie congénitale de l’adulte, précise-t-il.

« Le problème avec la maladie cardiovasculaire, c’est que personne n’a trouvé comment la prévenir. La génétique est complexe et mal comprise, et l’incidence ne change pas », explique le Dr Beauchesne. On soupçonne l’existence d’un facteur génétique, puisque le fait d’avoir un parent atteint de cardiopathie congénitale de l’adulte fait passer de moins de 1 p. 100 à 3 à 6 p. 100 le risque que l’enfant naisse avec une anomalie cardiaque. Mais les facteurs génétiques en jeu demeurent un mystère.

Alors que les premières générations qui ont grandi et se sont épanouies avec une cardiopathie congénitale arrivent à l’âge adulte, assurer la continuité des soins et maintenir leur santé à long terme pose de nombreux défis.

Les défis exceptionnels des soins de la cardiopathie congénitale de l’adulte

Le premier obstacle est le passage des patients de l’hôpital pédiatrique, où ils ont toujours été soignés, vers une clinique pour adultes dans un nouvel hôpital. « Lorsqu’ils doivent changer d’établissement, le taux d’attrition est assez élevé », affirme Joanne Morin, infirmière de pratique avancée à la Clinique de cardiopathie congénitale de l’adulte.

De tels changements sont facilités par une étroite collaboration, comme celle qui existe entre l’Institut de cardiologie et le Centre hospitalier pour enfants de l’est de l’Ontario (CHEO). Les équipes de ces deux établissements sont très liées. Plusieurs médecins du CHEO travaillent avec la clinique de l’Institut de cardiologie, mettant à profit leur expertise en cardiopathie congénitale et leur connaissance des antécédents des patients en particulier. Les deux établissements font aussi des tournées conjointes tous les mois pour discuter des cas complexes touchant les adultes.

Autre préoccupation avec les patients atteints de cardiopathie congénitale en transition, c’est qu’ils sont souvent en parfaite santé, ce qui les amène à se priver de soins réguliers, explique Mme Morin. « Nous essayons dès le début de faire valoir que même s’ils se sentent bien et que les choses vont bien pour l’instant, ce ne sera pas nécessairement le cas plus tard. Nous leur expliquons que nous pouvons voir des changements dans leurs résultats de tests ou leur examen régulier avant qu’ils commencent à se sentir moins bien. Nous ne voulons pas que les gens viennent cogner à notre porte seulement quand ils auront commencé à avoir des symptômes », souligne-t-elle.

« L’un des messages clés adressés à nos patients, c’est que nous avons des traitements efficaces, mais que dans certaines situations, les traitements ne durent pas toute la vie, précise le Dr Beauchesne. Si vous souffrez d’une appendicite, vous subissez une opération et le tout est réparé; c’est comme ça que les gens ont tendance à voir une opération. Mais dans le cas de la cardiopathie congénitale de l’adulte, c’est différent. Plusieurs patients connaîtront des problèmes permanents, et il faut un certain temps aux gens pour s’en rendre compte. »

En raison de la nature chronique des soins en cardiopathie congénitale de l’adulte, il est vital pour les médecins de suivre leurs patients, mais c’est souvent difficile. « Nos patients sont essentiellement jeunes et ils se déplacent beaucoup, leur adresse et leurs numéros de téléphone changent. Les jeunes femmes se marient et changent de nom. Obtenir les coordonnées auxiliaires de nos patients est exigeant sur le plan de la main‑d’œuvre, mais ça rapporte à long terme », ajoute Mme Morin.

Environ un quart des patients atteints de cardiopathie congénitale de l’adulte sont limités dans leurs activités physiques; ces limites, évidentes et connues, sont importantes dans 5 à 10 p. 100 des cas. Pour certains, leur état en fait des personnes plus à risque lorsqu’elles entreprennent des activités stressantes pour le cœur. Une grande partie du travail de Mme Morin consiste à conseiller les jeunes patients sur des sujets comme la pratique des sports ou le choix de carrières sécuritaires. Les problèmes d’image corporelle ne sont pas rares, en particulier pour les patients qui ont d’importantes cicatrices chirurgicales.

La grossesse est un autre enjeu. Certains types de cardiopathie congénitale de l’adulte, même s’ils ont été traités avec succès, peuvent rendre la grossesse dangereuse pour les femmes, la charge de travail du cœur augmentant de 30 à 50 p. 100 pendant la grossesse. « Nous travaillons beaucoup avec les équipes d’obstétrique à haut risque de L’Hôpital d’Ottawa afin de déterminer si la grossesse est possible, et pour qu’elles suivent nos patientes jusqu’à l’accouchement », explique le Dr Beauchesne. Il arrive parfois que des femmes souffrant d’une anomalie qui n’a jamais été diagnostiquée éprouvent des symptômes pendant la grossesse, ce qui les amène à se faire soigner à la Clinique de cardiopathie congénitale de l’adulte.

La Clinique de cardiopathie congénitale de l’adulte

Puisque le nombre de cas de chaque type d’anomalie est souvent limité et que, règle générale, les cas sont complexes, les plans de soins standards s’appliquent rarement à ces patients. « Quiconque est candidat pour une intervention relative à une cardiopathie congénitale de l’adulte est présenté à nos séances scientifiques. Nous ne prenons donc pas les décisions de traitement unilatéralement; elles font l’objet d’un consensus. Et c’est ce que nous voulons, parce que les éléments probants avec lesquels nous travaillons en cardiopathie congénitale de l’adulte évoluent constamment », explique Mme Morin.

En 2002, la Clinique de cardiopathie congénitale de l’adulte est devenue une clinique thérapeutique officielle, et depuis, son nombre de cas s’est accru d’environ 200 patients par année. Aujourd’hui, la Clinique suit plus de 1 800 patients. « À l’heure actuelle, la clinique est ouverte trois jours par semaine. Et je prévois que nous en viendrons bientôt à ouvrir tous les jours », affirme le Dr Beauchesne.

En 2008, il a coprésidé l’élaboration des lignes directrices de traitement pour l’Ontario. Le rapport recommandait que l’Institut de cardiologie soit désigné comme l’un de deux grands centres régionaux de la province pour jouer un rôle de chef de file dans les soins en cardiopathie congénitale de l’adulte. Il est aussi le coauteur des plus récentes lignes directrices de la Société canadienne de cardiologie.

La clinique a maintenant des patients qui arrivent à 50 et 60 ans. « Nous voyons pour la première fois chez des patients atteints de cardiopathies congénitales le type de cardiopathie acquise observée dans la population en général – maladie coronarienne, hypertension, insuffisance cardiaque », rapporte Mme Morin. Bien que cela puisse compliquer les choses, ça montre aussi à quel point nous avons fait du progrès dans le traitement des maladies congénitales. Après tout, il y a quelques décennies à peine, le seul fait qu’un patient souffrant d’une cardiopathie congénitale atteigne l’âge adulte était une victoire.

Les soins en cardiopathie congénitale de l’adulte au Canada

Le Réseau canadien des cardiopathies congénitales de l’adulte (CACHnet) est un réseau regroupant les 15 cliniques de cardiopathie congénitale de l’adulte au pays, incluant celle de l’Institut de cardiologie. Créé en 1991 pour regrouper les connaissances et l’expérience des professionnels canadiens dans le domaine, « le CACHnet a fait une énorme différence dans le suivi ou le transfert des patients entre les provinces », explique le Dr Beauchesne. De plus, le réseau joue un rôle primordial dans la formation des spécialistes, notamment grâce à l’établissement de lignes directrices de traitement.

Lorsqu’il est question de soins pour la cardiopathie congénitale de l’adulte, des facteurs comme la géographie et la variabilité du soutien dans les différentes provinces font en sorte que les ressources, les niveaux de soins et les temps d’attente varient énormément entre les cliniques membres du CACHnet. La florissante base de données de patients de l’organisme a permis au Dr Beauchesne de mener la plus vaste étude portant sur les volumes de patients et d’interventions, l’infrastructure clinique et la dotation en personnel ainsi que les temps d’attente inhérents à la cardiopathie congénitale de l’adulte dans l’ensemble du Canada. Les résultats de cette étude ont été publiés dans l’ International Journal of Cardiology en 2012 après avoir été présentés dans le cadre des séances scientifiques de l’American Heart Association.

Il a trouvé les résultats « surprenants » à bien des égards. Sur un nombre approximatif de 96 000 patients atteints de cardiopathie congénitale de l’adulte au Canada, on estime qu’environ la moitié a besoin de soins spécialisés continus. La recherche a montré que moins de 22 000 patients avaient bénéficié d’un suivi régulier, et moins de 28 000 étaient enregistrés dans l’une des 15 cliniques membres.

D’autres observations inattendues montrent que seulement 27 p. 100 des cardiologues pour adultes et enfants affiliés aux cliniques du CACHnet ont reçu une formation précise sur le traitement de la cardiopathie congénitale de l’adulte, et que dans plusieurs cliniques pour adultes « les soins de première ligne sont assurés par des cardiologues pédiatriques, parce que personne d’autre n’a l’expertise nécessaire », rapporte le Dr Beauchesne. Quatre de ces centres n’ont pas de poste d’infirmière spécialisée et neuf n’ont aucun personnel de bureau institutionnel. « En dépit de l’accès universel aux soins de santé, les lignes directrices publiées sur les dispositions structurelles et processuelles de qualité des soins pour les patients atteints de cardiopathie congénitale de l’adulte ne sont pas respectées », précise l’article.

Ces résultats sont le reflet du peu d’attention dont a bénéficié la cardiopathie congénitale de l’adulte comparativement à d’autres secteurs de la cardiologie pour adultes : « Il y a une pénurie d’expertise et un manque d’intérêt à s’y attaquer en raison des coûts, du temps et des ressources, commente le Dr Beauchesne. Ça n’a pas été un problème ici, où le milieu est très coopératif. Mais il y a une grande variabilité de ressources et d’expertise entre les centres. Nous souhaitons élever ce niveau pour tous. »