Arrêt cardiaque : prendre soin du cœur... et de la tête

28 septembre 2016

Les taux de survie après un arrêt cardiaque subi hors d’un hôpital sont très faibles. En fait, environ 5 % des personnes y survivent. Cela dit, la situation s’améliore légèrement, notamment grâce à la formation en réanimation cardio-respiratoire (RCR) et l’installation de défibrillateurs dans certains endroits publics, comme les installations sportives et récréatives.

Michel Le May, MD, directeur du Programme régional des arrêts cardiaques (à droite) et le résident en cardiologie, Juan Russo, MD.

Mais pour ceux qui survivent, les dommages qu’ils subissent au cerveau ont souvent des effets graves et parfois irréversibles. Ainsi, la prévention des lésions au cerveau constitue une priorité absolue lorsqu’il est question d’arrêt cardiaque. C’est pourquoi une équipe de l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa travaille à améliorer les taux de survie après un arrêt cardiaque et le sort des patients qui ont la chance d’être admis à l’hôpital, grâce au Programme régional des arrêts cardiaques, le premier du genre au Canada.

On appelle aussi ce programme « code ROSC » (return of spontaneous circulation, en anglais). Autrement dit, le cœur d’une personne ayant subi un arrêt cardiaque bat de façon autonome. Le code ROSC enclenche un processus de transfert des patients qui ont subi un arrêt cardiaque vers l’Institut de cardiologie dès qu’ils sont dans un état stable dans une salle d’urgence d’un hôpital voisin.

Ce programme et le protocole du code ROSC ont été développés à partir du très influent modèle du programme STEMI de l’Institut de cardiologie établi par le cardiologue Michel Le May, MD.

« C’est vraiment un travail d’équipe, a déclaré d’emblée le Dr Le May, directeur du Programme régional des arrêts cardiaques. Les premiers répondants, les hôpitaux régionaux, le personnel de l’Institut... Ils ont tous un rôle crucial à jouer pour aider les personnes qui subissent un arrêt cardiaque à survivre. »

Faire battre le cœur à nouveau, ce n’est que le début de l’histoire. Avant que le patient ne soit stabilisé, il y a une période où le sang n’est pas acheminé de façon adéquate partout dans le corps, ce qui peut causer des lésions graves et parfois irréversibles aux organes. Même en ne tenant pas compte de ces lésions, dans 80 à 90 % des cas, un arrêt cardiaque signale qu’il existe un autre problème cardiaque qui doit être résolu. Et ça, c’est l’affaire des experts de l’Institut de cardiologie.

Si les lésions causées à des organes comme les reins finissent par guérir d’elles-mêmes, celles qui sont causées au cerveau sont, elles, irréversibles. C’est pourquoi l’équipe du programme se concentre là-dessus.

« Plusieurs facteurs peuvent entraîner une lésion au cerveau avant, pendant et après un arrêt cardiaque, explique le résident en cardiologie Juan Russo, MD. À l’Institut de cardiologie, notre défi principal, c’est d’empêcher une lésion cérébrale permanente après le rétablissement de la circulation spontanée. »

Lorsque les patients arrivent à l’hôpital après un arrêt cardiaque, le taux de survie grimpe au-delà de 50 %. Mais comme l’indique le Dr Russo : « La survie, c’est déjà un bon pas, mais ça ne suffit pas. Le rétablissement neurologique est extrêmement important. »

Des infirmières de l’ICUO ajustent un dispositif de refroidissement intraveineux.

Le refroidissement, un procédé crucial

Nous savons depuis plus d’une décennie que provoquer l’hypothermie peut aider le corps à guérir et prévenir les dommages causés par un arrêt cardiaque. En fait, à l’exclusion des défibrillateurs, « le refroidissement est l’un des seuls traitements qui peut réellement améliorer les résultats », précise le Dr Le May.

Le programme de l’Institut de cardiologie est le tout premier au Canada à utiliser ce procédé de façon systématique, selon la coordonnatrice du programme, Christina Osborne. Il s’agit de faire descendre la température corporelle du patient à la température fixée selon un consensus scientifique pour produire les meilleurs résultats. Les patients sont maintenus en état d’hypothermie pendant 24 heures avant que la température de leur corps ne soit lentement rétablie à la normale, à un niveau stable, pendant une autre journée.

« Le retour à la conscience est un choc en soi, explique Dr Le May. C’est comme un boxeur qui voit encore des étoiles partout. » Le risque principal, toutefois, est le déclenchement d’une réaction inflammatoire massive, qui nuit au rétablissement des fonctions cérébrales.

« Lorsque nous avons lancé le programme des arrêts cardiaques, il existait plusieurs méthodes de refroidissement, souligne Mme Osborne. Maintenant, nous utilisons des dispositifs de refroidissement internes plutôt que des couvertures de refroidissement. » Lorsque l’utilisation de dispositifs de refroidissement intraveineux a révélé la présence de caillots potentiellement dangereux, le protocole a été modifié pour y inclure une échographie abdominale au jour 3 et une échographie Doppler de la jambe au jour 7.

On évalue l’irrigation sanguine du cerveau du patient à l’aide de technologies non effractives, ce qui permet d’offrir des soins véritablement personnalisés. Selon le Dr Le May, la technologie permettra un jour aux médecins d’analyser l’activité cérébrale des patients de façon continue. Cela permettra de cerner les zones moins bien irriguées du cerveau et d’anticiper les impacts potentiels sur les activités quotidiennes des patients.

Lancé en 2011 comme projet pilote sur les campus de L’Hôpital d’Ottawa, le programme a ensuite été adopté par tous les hôpitaux de la ville. Il n’a pas été nécessaire de le déployer officiellement à l’échelle régionale, puisque les autres hôpitaux ont adopté le code ROSC de leur propre gré après en avoir entendu parler.

« Sur une base annuelle, certains petits établissements n’ont qu’un patient nécessitant un code ROSC, indique le Dr Le May. Comme il est difficile pour eux de gérer ces cas, ils déclenchent le protocole du code ROSC ».

« L’Institut de cardiologie est le meilleur endroit pour traiter les patients qui ont eu un arrêt cardiaque. Certains de ces patients sont très malades. Nous avons toutes les ressources nécessaires pour les aider : ils sont entre très bonnes mains ici. »

La motivation nécessaire pour persévérer

Pour le Dr Russo, le choix de se concentrer sur les arrêts cardiaques était évident. C’est un problème médical présentant des taux de morbidité et de mortalité élevés, et pour lequel peu d’options de traitement existent. Il s’agit aussi « d’un incident imprévu et dévastateur pour les patients et leurs proches », ajoute-t-il. « Le fait de connaître les conséquences médicales et sociales que peut avoir un arrêt cardiaque me motive grandement à œuvrer pour améliorer les résultats cliniques. »

Le Dr Le May estime qu’il est temps de déployer le programme dans d’autres hôpitaux, afin que les patients ayant subi un arrêt cardiaque aient les meilleures chances possible de guérir avec des fonctions cérébrales intactes.

Une plateforme de recherche unique

L’un des grands avantages du Programme régional des arrêts cardiaques est qu’il offre une plateforme de recherche unique, avec un bassin de patients ayant été soignés selon les mêmes protocoles standardisés.

« Très peu d’établissements dans le monde peuvent mener de tels travaux de recherche », souligne le Dr Le May.

La question cruciale à laquelle les chercheurs de l’ICUO tentent de répondre est de savoir comment améliorer les résultats pour les patients. Les lésions cérébrales constituent la principale cause de décès après un code ROSC. On ignore toutefois pourquoi certains patients survivent sans lésion, avec des lésions mineures ou avec de graves lésions, alors que d’autres ne survivent pas.

La principale étude clinique présentement en cours sur le sujet, CAPITAL CHILL, vise à cerner les différences de résultats lorsqu’on effectue un refroidissement modéré (31 °C) ou un refroidissement léger (34 °C). Bien qu’il n’existe pas de consensus quant à la température idéale de refroidissement, les directives actuelles recommandent une température située entre 32 et 36 °C.

Au sein du projet CAPITAL CHILL, le Dr Russo mène actuellement une étude appelée CAPITAL RETURN, qui vise à évaluer l’importance clinique des mesures non effractives du débit cardiaque (la quantité de sang pompée par le cœur chaque minute) et de la perfusion cérébrale (la quantité d’oxygène reçue par le cerveau). Il présentera les résultats de cette étude en octobre lors du Congrès canadien sur la santé cardiovasculaire.

Son résumé analytique lui a d’ailleurs valu de recevoir un prix de la Société canadienne pour les soins intensifs cardiovasculaires (SCSIC).

C’est un grand honneur pour un cardiologue de recevoir un prix pour une recherche sur les soins intensifs, rappelle le Dr Le May. Ce qui est encore plus important, c’est que la recherche du Dr Russo pourrait changer la façon dont on soigne les patients, qu’ils aient subi un arrêt cardiaque ou non.