Recherches cardiovasculaires précliniques : un grave manque de rigueur scientifique

27 mai 2017

Les essais et les études cliniques menées auprès de sujets humains doivent se conformer à des normes très rigoureuses. Les chercheurs qui en sont responsables doivent s’efforcer de faire participer des personnes issues de divers groupes, et autant les femmes que les hommes. Les participants aux essais doivent être répartis aléatoirement dans des groupes qui se verront administrer les traitements que les chercheurs souhaitent comparer. L’équipe de chercheurs mesure les résultats, souvent inconscients eux-mêmes de quels participants appartiennent à chaque groupe. Ces précautions réduisent la possibilité de quelconque forme de biais dans les résultats. Des calculs sont effectués pendant la conception de l’essai afin de déterminer le nombre minimal de patients requis pour mener à bien l’expérience – la taille de l’échantillon – afin de réduire la probabilité que les résultats soient dus simplement à la chance.

Or, selon deux articles récents signés par des chercheurs de l’Institut de cardiologie d’Ottawa, ces méthodes sont rarement utilisées en recherche préclinique, à l’étape où les chercheurs doivent tester de nouveaux traitements ou théories sur des sujets animaux avant de passer aux essais sur des humains. Résultat : les découvertes réalisées dans le cadre de nombreuses études publiées ne peuvent pas être contrevérifiées par d’autres équipes de recherche, une norme fondamentale de vérification des résultats d’une recherche. De plus, des traitements prometteurs pourraient ne pas fonctionner aussi bien chez les femmes dans les essais cliniques chez les humains. Par ailleurs, nous pourrions passer à côté de découvertes de traitements qui pourraient ne fonctionner que pour les femmes.

Benjamin Hibbert, M.D., Ph.D., cardiologue interventionniste, clinicien-chercheur à l’Institut de cardiologie, et auteur principal de deux études, possède de l’expérience comme chercheur clinicien, mais aussi en laboratoire. « Les chercheurs en laboratoire, qui font le gros de ce travail, se concentrent sur les aspects techniques de leurs essais. Ils n’obtiennent pas de formation sur comment concevoir un essai de façon approprié, déplore-t-il. Je pense que ça ne fait simplement pas partie de la culture de concevoir leurs essais en tenant compte de ces éléments-là. »

« Pourtant, ces éléments essentiels à la validation des données en science préclinique. Il faut s’assurer que l’on ne voit pas simplement ce que l’on souhaite voir, explique-t-il. Si on ignore ces mécanismes de validation de notre conception méthodologique, cela peut mener à un gaspillage important de ressources. On peut faire de fausses conclusions, voire pire, entamer prématurément des essais cliniques et causer des ennuis cliniques. »

Biais dus au sexe des sujets : pas d’amélioration

En 2014, le National Institute’s of Health (NIH) des États-Unis a recommandé que le sexe des participants devait être un élément biologique dont les scientifiques doivent tenir compte dans toutes les demandes futures de financement pour des recherches précliniques.

Utiliser des sujets animaux mâles et femelles, c’est important, pense le Dr Hibbert. Certains traitements expérimentaux peuvent fonctionner chez les femelles, mais pas chez les mâles, ou vice-versa. Pour les traitements qui fonctionnent chez les deux sexes, ils sont parfois traités différemment par le corps. Le dosage doit donc être ajusté en fonction du sexe du sujet. Si l’on utilise seulement des souris mâles dans une recherche préclinique – ce qui semble être le cas par défaut dans la plupart des laboratoires, cela pourrait causer des problèmes ultérieurement, quand les traitements seront testés chez les humains.

Afin de voir si la recommandation du NIH a changé quoi que ce soit en ce qui concerne l’inégalité des sexes des sujets en recherche préclinique, le Dr Hibbert, résident en cardiologie, Daniel Ramirez, M.D., auteur principal, et leurs collègues ont analysé toutes les études cardiovasculaires précliniques publiées dans les journaux de l’American Heart Association entre 2006 et 2016. Les résultats de leur étude ont été publiés dans Circulation.

Les résultats ont été en somme fort décevants. Le sexe des sujets animaux n’était même pas indiqué dans 20 % des études menées au cours de la dernière décennie. Parmi celles qui l’indiquaient, plus de 70 % n’utilisaient que des animaux mâles. Pour la minorité des études qui utilisaient tant des mâles que des femelles, soit environ 15 %, des analyses fondées sur le sexe n’étaient réalisées que dans 17 % d’entre elles.

Les résultats rapportés en fonction du sexe n’étaient présents que dans une minorité des études qui indiquaient le sexe des animaux utilisés. Cette proportion n’a pas changé après la recommandation du NIH.

Le Dr Hibbert pense que plusieurs croyances non fondées sont à la source de la préférence pour des sujets animaux mâles, y compris les préoccupations relatives aux fluctuations hormonales chez les femelles, qui sont d’ailleurs non pertinentes dans le cadre de la recherche, ou encore le désir aveugle de « protéger » les femelles. « On fait exactement le contraire, en fait, parce que l’on n’apprend pas comment les femelles réagissent aux traitements, et on ignore les processus spécifiques au sexe de la maladie », explique-t-il.

La conception de l’étude pointée du doigt

Dans leur seconde étude publiée dans Circulation Research (en anglais), les Drs Hibbert et Ramirez et leurs collègues ont voulu savoir si certaines caractéristiques des études (répartition aléatoire, à l’aveugle, taille de l’échantillon) avaient été améliorées au cours de la même décennie, parmi les études des mêmes journaux. La répartition aléatoire élimine le biais en assignant aléatoirement les patients aux groupes de traitement. Les études à l’aveugle s’assurent que le personnel de l’étude ne sait pas qui reçoit quel traitement. Cela empêche le personnel de se comporter différemment avec les participants, selon le traitement qu’ils reçoivent.

Les résultats ont été, encore une fois, décevants. Le nombre d’études qui ont été menées avec répartition aléatoire ou à l’aveugle était bas – moins du tiers pour chacune de ces caractéristiques. Et cette proportion est restée la même tout au long de la période de 10 ans. Le nombre d’études qui calculaient la taille de l’échantillon minimal nécessaire avant même le début de la recherche a, lui, augmenté, mais demeurait fort bas, sous la barre des 7 %.

Ces faiblesses méthodologiques expliquent probablement pourquoi peu d’études publiées peuvent être reproduites avec succès dans d’autres laboratoires, selon le Dr Hibbert. Par exemple, dans le cas d’une récente étude sur le cancer (en anglais), seulement 6 études sur 53 sont parvenues à reproduire les mêmes résultats.

« Les gens ne font pas ça intentionnellement, mais s’ils n’utilisent pas les mécanismes de vérification appropriés dans leurs études, dès qu’ils obtiennent des résultats qui corroborent leur hypothèse, ils cessent de chercher et de se questionner. 

Comment rehausser la barre

Benjamin Hibbert, M.D., Ph.D. et Daniel Ramirez, M.D.

La seule exception, dans leur deuxième étude, pourrait pointer vers une solution potentielle, explique le Dr Hibbert. Dans la recherche sur les AVC, les études précliniques de la dernière décennie montraient une augmentation de la répartition aléatoire, des études réalisées à l’aveugle, des calculs de la taille de l’échantillon nécessaire et de l’utilisation de sujets mâles et femelles.

Près de 90 % des recherches sur les AVC que lui et ses collègues ont examiné ont été publiées dans le journal Stroke. En 2011, ce journal a adopté une « Liste de vérification de base », qui exigeait que ces éléments de conception des études soient inclus pour toutes leurs publications.

« Je pense que les chiens de garde, ça doit être les journaux – ils sont à la base de notre système de récompense à nous, les chercheurs. La survie de votre laboratoire dépend souvent de votre prochaine publication », affirme le Dr Hibbert. Les gens ont besoin d’incitatifs. Si les scientifiques étaient évalués en fonction du caractère reproductible de leurs résultats, et si à l’étape de la publication ils devaient montrer qu’ils avaient conçu leur étude en incluant ces éléments, ils vont évidemment le faire, car ce sont des gens intelligents, futés et motivés. »

« En augmentant la qualité de la science préclinique, je pense qu’on verra une augmentation draconienne des résultats qui peuvent se traduire en clinique », conclut-il.

Pour en savoir davantage :

  • Lisez au sujet de cette recherche dans The Scientist (en anglais)