Surmonter les obstacles pour réparer les lésions causées par la crise cardiaque (CCSC et AHA 2014)

10 décembre 2014
Des cellules progénitrices cardiaques (en vert) sont produites en culture à partir de tissu cardiaque de souris (en bas à gauche) au laboratoire du Dr Darryl Davis.

Nous connaissons les meilleures façons de prévenir la crise cardiaque; avoir une saine alimentation, être actif physiquement et ne pas fumer en sont quelques-unes. Les progrès réalisés en matière de soins cardiaques aident aussi les gens à vivre plus longtemps avec une meilleure qualité de vie après avoir subi une crise cardiaque. Toutefois, il n’y a pas de moyens de réparer les lésions et le tissu cicatriciel du cœur des personnes qui ont survécu à une crise cardiaque. Ces lésions peuvent un jour ou l’autre entraîner des problèmes d’insuffisance cardiaque, de valvulopathie ou d’arythmies potentiellement mortelles.

Les médecins et les chercheurs veulent trouver comment réparer les lésions causées par la crise cardiaque, pas simplement sauver ce qui reste de tissus sains. La médecine régénérative — l’exploitation des propres cellules souches du corps pour réparer le tissu cardiaque endommagé — a fait des avancées prometteuses en ce sens. Nous comprenons de mieux en mieux comment ces cellules travaillent dans le corps et comment elles peuvent être amenées à réparer ou à remplacer de grands pans de tissus cardiaques endommagés par une crise cardiaque, mais quelques défis fondamentaux demeurent.

Dans un cœur sain, jusqu’à 1 p. 100 des cellules meurent naturellement et sont remplacées chaque année. Les cellules qui interviennent directement dans la réparation du cœur incluent deux types de cellules souches : les progéniteurs cardiaques, qui produisent le tissu musculaire, et les progéniteurs endothéliaux, qui produisent les vaisseaux sanguins. Deux chercheurs de l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa explorent le potentiel de ces deux types de cellules à guérir un cœur endommagé; il s’agit d’ Erik Suuronen , Ph. D., directeur du Laboratoire de génie tissulaire cardiovasculaire , et de Darryl Davis , M.D., électrophysiologue et directeur du Laboratoire de recherche translationnelle en cardiologie .

Ces deux types de cellules ont deux caractéristiques qui les rendent intéressantes pour la médecine régénérative. Premièrement, elles libèrent des hormones et d’autres molécules de signalisation cellulaire, qui favorisent la réparation des tissus. Deuxièmement, elles ont le potentiel de se greffer — de « coller » — au cœur et éventuellement de générer de nouveaux tissus sains. En théorie, les propres cellules souches d’un patient peuvent être cultivées, modifiées pour améliorer leurs capacités réparatrices, puis réinjectées dans le cœur.

À ce jour, c’est en exploitant la première caractéristique que les scientifiques ont connu le plus de succès, bien que les gains au niveau de la fonction cardiaque semblent assez modestes pour l’instant. « Les gains observés avec les cellules souches cardiaques dans les premiers essais cliniques reposaient sur leur aptitude à générer des hormones réparatrices qui favorisent la guérison des tissus réversiblement endommagés », explique le Dr Davis, dont le laboratoire a été le premier au Canada à cultiver des cellules souches cardiaques.

Son laboratoire et celui de M. Suuronen ont présenté un total de 17 résumés lors du Congrès canadien sur la santé cardiovasculaire (CCSC) et des séances scientifiques de l’American Heart Association cette année. Plusieurs de ces études cherchaient à savoir quelles hormones libérées par les cellules souches sont les plus importantes pour le processus de guérison, et comment augmenter l’expression de ces hormones dans les cellules pour les utiliser à des fins thérapeutiques.

Une étude du laboratoire du Dr Davis a montré qu’en modifiant les cellules souches de façon à produire en surplus une hormone appelée SDF-1, qui agit comme un appel de détresse aux cellules, on avait stimulé le recrutement de cellules souches dans les tissus cardiaques endommagés. On a aussi découvert qu’en augmentant la quantité d’une autre hormone, appelée IGF-1, le nombre de cellules souches qui survivaient après la transplantation par injection dans le cœur avait augmenté.

Toutefois, aussi importante que soit la signalisation cellulaire dans le processus de réparation, explique le Dr Davis, « l’essentiel pour utiliser ces cellules repose sur leur capacité à se greffer et à se développer en tissu cardiaque actif. Pour aller de l’avant, nous devons trouver une façon de les garder sur place pour qu’elles fassent ce qu’elles sont censées faire. »

Tomographie par émission de positons (TEP) démontrant la présence d’une matrice de collagène radiomarquée après injection dans le muscle cardiaque endommagé (indiqué par la flèche).

Cela s’est avéré difficile. Dans des études antérieures menées au laboratoire du Dr Davis, seulement 10 p. 100 des cellules souches cardiaques injectées dans un cœur endommagé étaient encore présentes après une heure. La combinaison de la turbulence mécanique du cœur et de l’environnement toxique de la réponse inflammatoire à la suite d’une crise cardiaque sème le chaos dans les cellules souches fragiles. M. Suuronen et le Dr Davis travaillent tous deux à développer des stratégies pour protéger les cellules souches et leur laisser le temps nécessaire de s’implanter dans le cœur.

Le laboratoire de M. Suuronen s’est concentré sur les biomatériaux à base de collagène injectables pour réparer les lésions de la structure de soutien du cœur, une microstructure complexe dont les cellules souches dépendent pour le soutien physique et la communication intercellulaire par l’entremise d’hormones et d’autres protéines. Ces biomatériaux pourraient aussi protéger les cellules qui sont déjà dans le cœur au moment d’une crise cardiaque, explique-t-il, offrant ainsi un environnement plus hospitalier à la thérapie de cellules souches.

« Si vous savez ce qui manque dans l’environnement du cœur, alors vous pouvez renforcer cet environnement [avec les molécules nécessaires], pour qu’au moment d’introduire les cellules souches, elles soient plus en mesure d’assumer leur fonction », explique M. Suuronen.

Dans une étude présentée lors des conférences, son équipe a montré que l’ajout d’une protéine, appelée CCN1, à la microstructure de collagène avait amélioré la réparation du muscle cardiaque par rapport à l’utilisation de la microstructure seule. Une autre étude a démontré que la microstructure de collagène pouvait réduire la quantité de molécules de signalisation interférant avec la formation des nouveaux vaisseaux sanguins.

Le laboratoire du Dr Davis explore les cellules souches encapsulées dans une gaine protectrice. Dans une étude, les cellules souches cardiaques encapsulées dans des cocons protecteurs faits d’agarose et de protéines de soutien ont multiplié par trois leur habileté à se greffer au cœur.

À ce jour, les recherches des deux laboratoires ont été menées sur des modèles animaux. Le dernier obstacle à l’utilisation des progéniteurs cardiaques et des progéniteurs endothéliaux dans des essais sur l’être humain, c’est la création de produits de cellules souches exempts de contaminants étrangers, selon le Dr Davis. Récemment, son laboratoire a changé ses protocoles de production de cultures cellulaires pour passer aux normes requises pour les essais cliniques. « C’était vraiment le dernier obstacle à surmonter. Au cours des mois à venir, nous aurons des discussions préalables aux essais cliniques avec Santé Canada afin de mettre en œuvre certaines de nos technologies dans un proche avenir », conclut le Dr Davis.