Il y a quelques années, Marcelo Muñoz faisait la file devant un camion de cuisine de rue dans un festival, l’œil rivé sur une fournée de churros, sans se douter qu’il était sur le point d’avoir une idée qui pourrait transformer radicalement le traitement de la maladie coronarienne.
Depuis des semaines, le pharmacien et chimiste au sein du Groupe de recherche de solutions thérapeutiques et de bio-ingénierie (BEaTS) (en anglais) planchait avec le directeur Emilio Alarcón, Ph.D., et le reste de l'équipe sur des solutions de bio-ingénierie pour améliorer la sûreté et l’efficacité des pontages aortocoronariens.
« Nous voulions trouver un moyen de créer rapidement et de façon fiable des vaisseaux sanguins utilisables dans le corps humain, raconte-t-il. La machine à churros a été l’étincelle qui nous a montré une nouvelle voie possible. »
En regardant la pâte sortir de la machine et s’enrouler parfaitement autour d’une tige centrale pour former un cylindre creux et se solidifier en plongeant dans l’eau bouillante, un déclic s’est opéré dans l’esprit du chercheur.
« Je me suis dit : pourquoi ne pas utiliser la même méthode pour créer un vaisseau sanguin? »
Depuis, Marcelo Muñoz, Emilio Alarcón et l’équipe du groupe BEaTS travaillent à miniaturiser le procédé et à l’adapter à l’aide de matériaux appelés « biopolymères ». Les biopolymères peuvent être de source naturelle ou conçus en laboratoire, et sont sécuritaires pour l’organisme.
Affectueusement surnommée le projet Churro, l’idée de Marcelo Muñoz a mené à la création d’un dispositif novateur conçu pour fabriquer des greffons vasculaires directement à l’intérieur du corps. Cette approche pourrait un jour remplacer la chirurgie à cœur ouvert.
Le concept a récemment été présenté dans la revue Advanced Materials Technologies.
L’urgence d’innover
Chaque année, des milliers de personnes au Canada subissent un pontage aortocoronarien.
La procédure standard consiste à prélever un vaisseau sanguin sain dans le corps du patient pour le greffer au cœur et ainsi contourner une artère bloquée. C’est un peu comme aménager un détour lorsqu'une route est fermée.
Or, ce type de chirurgie n’est pas sans faille. Les médecins ont parfois du mal à trouver un vaisseau sanguin adéquat. Les greffons (les vaisseaux de remplacement) peuvent aussi se dégrader au fil du temps.
Marc Ruel, M.D., chef de la chirurgie cardiaque à effraction minimale à l’Institut de cardiologie d’Ottawa, estime que de 80 à 90 % de ses patients ont des vaisseaux parfaits pour la greffe. Toutefois, chez les 10 à 20 % restants, souvent des personnes âgées ou diabétiques, les vaisseaux disponibles sont de moins bonne qualité, ce qui peut affecter la durabilité et l’efficacité de l’intervention à long terme.
L’équipe du Dr Ruel à l’Institut de cardiologie réalise environ 1000 pontages par année, ce qui signifie que de 100 à 200 patients courent des risques accrus en raison de greffons de qualité inférieure. À l’échelle du pays, de 2500 à 5000 personnes sont dans la même situation, sur un total d’environ 25 000 pontages. Ces statistiques viennent mettre en valeur le besoin d’innover dans ce domaine.
« Pour soigner ces personnes, on utilise des médicaments et des tuteurs, explique le Dr Ruel. Mais pour bien des gens, surtout s’ils sont diabétiques, le pontage demeure l’option la plus efficace. »
Les risques liés à cette opération vont au-delà de la disponibilité des greffons.
Comme l’explique le Dr Ruel, le pontage traditionnel exige une sternotomie, c’est-à-dire l’ouverture de l’os au milieu de la poitrine. Bien que les nouvelles techniques à effraction minimale évitent cette étape, la sternotomie reste courante. Elle est généralement associée à une convalescence plus longue et à un risque accru de complications.
Une innovation qui tient dans le creux de la main
L’innovation de Marcelo Muñoz repose sur un dispositif pas plus gros que le pouce.
Comme le décrit l’article Miniaturized Devices for On-the-Spot Generation of Small-Diameter Vascular Grafts, le dispositif peut extruder en temps réel un greffon vasculaire synthétique à partir d’un biopolymère liquide.
Au passage du polymère dans la buse — imaginez de la gélatine qui sort de l’extrémité d’un pistolet à colle — il se forme un tube dont les fibres s’alignent selon un motif circulaire, imitant de près la structure naturelle des vaisseaux sanguins.
Pour durcir le polymère et créer un tube solide, une petite fibre optique projette une lumière bleue sur le matériau qui sort de la buse. C’est un peu le même principe que la lumière utilisée par les dentistes pour faire durcir un plombage, mais à une échelle beaucoup plus petite et précise.
Sous la direction de l’étudiant international Manuel Calderon, l’équipe a aussi mis au point une « plateforme d’ancrage » qui s’attache à l’intérieur de l’aorte. Ce composant pourrait permettre de réaliser des pontages par une petite incision, une technique dont l’Institut de cardiologie d’Ottawa a contribué au rayonnement à l’échelle mondiale.
Du festival à la salle d’opération
Bien que les recherches en soient encore à un stade préliminaire, leurs retombées potentielles sont majeures.
Marcelo Muñoz et son équipe imaginent un avenir où le dispositif serait inséré par cathéter, un peu comme l’implantation transcathéter de valve aortique (ITVA) a révolutionné le remplacement valvulaire. Une fois le dispositif en place, les chirurgiens pourraient « imprimer » un nouveau vaisseau sanguin directement sur le cœur, en pleine salle d’opération.
Les travaux sont encore en phase préclinique. L’équipe a testé la buse en laboratoire et évalué la résistance du matériau, ses interactions avec le sang et sa capacité à favoriser la croissance de nouveaux vaisseaux sanguins. Jusqu’ici, les résultats sont prometteurs.
Le matériau utilisé actuellement, la gélatine méthacrylate, a été choisi pour son faible coût et sa sensibilité à la lumière, ce qui en fait une excellente option pour le prototypage rapide. Ce n’est toutefois pas la solution définitive. L’équipe prévoit plutôt passer à des biomatériaux à base de peptides, conçus pour stimuler la croissance cellulaire et s’intégrer durablement au corps humain.
Marcelo Muñoz et ses collègues du laboratoire BEaTS sont convaincus qu’avec des essais supplémentaires, de meilleurs matériaux et un appui adéquat, leur dispositif pourrait un jour offrir une solution à effraction minimale à des personnes qui n’ont actuellement aucune option chirurgicale.