Quand on habite la région de Qikiqtani (Baffin), au Nunavut, venir à Ottawa pour une opération cardiaque est bien plus qu’un voyage pour des raisons médicales : c’est un déracinement. Il faut quitter ses proches, sa communauté et le territoire pour affronter l’incertitude dans une autre langue et dans une ville inconnue, sans toujours savoir pour combien de temps.
C’est dans le but d’adoucir cet exil que l’organisme Larga Baffin et les équipes spécialisées de l’Institut de cardiologie d’Ottawa ont uni leurs forces. Ensemble, ils redéfinissent la façon d’offrir des soins accessibles et respectueux de la culture inuite avant, pendant et après les interventions médicales.
Au cœur de ce partenariat se trouve la conviction que la guérison ne passe pas uniquement par les traitements médicaux, mais aussi par le sentiment d’appartenance, la confiance et la connexion aux autres.
Un chez-soi loin de chez soi
Le parcours des patients inuits à Ottawa commence souvent à Larga Baffin, une maison d’hébergement temporaire pour les patients et leurs accompagnateurs. L’organisme fournit non seulement les repas et de l’aide pour le transport et la logistique, mais, surtout, une communauté.
Les patients y retrouvent leur langue, leurs aliments traditionnels (gibier, oiseaux migrateurs, poisson, plantes sauvages) et des gens qui comprennent leur réalité. Ils peuvent trouver du réconfort auprès d’autres patients qui ont les mêmes craintes qu’eux ou qui savent ce que c’est, par exemple, de se faire évacuer par avion d’une communauté isolée ou d’avoir le mal du pays.
Pour Carry-Anne Dolan, directrice générale de Larga Baffin, ce sentiment de connexion est au cœur même du travail de l’organisme.
« Les gens que nous hébergeons affrontent de graves diagnostics loin de chez eux, explique-t-elle. Le fait d’être entourés de gens comme eux, qui comprennent leur réalité, les aide à guérir. »
Le traitement médical, ajoute-t-elle, ne règle pas tout. « Nos patients nous l’ont dit : pour guérir, nous avons aussi besoin de rire, d’interagir et de nous sentir respectés. »
Certains patients arrivent soudainement, directement de l’aéroport ou du service des urgences. Le personnel de Larga Baffin entre alors en action rapidement pour trouver de l’hébergement et organiser le transport afin que personne ne passe entre les mailles du filet.
« Certains arrivent ici et ne parlent pas un mot d’anglais ou n’ont jamais entendu parler de réadaptation cardiovasculaire, explique Carry-Anne Dolan. Mais quand ils voient un visage familier à table ou se font parler en inuktitut, ça change tout. Le sentiment d’être dans un lieu étranger s'atténue. »
Mettre en confiance pour mieux soigner
À l’Institut de cardiologie d’Ottawa, l’équipe de réadaptation cardiovasculaire est bien consciente de l’importance de gagner la confiance des patients autochtones, y compris des Inuits. Dès le premier contact, l’objectif est d’établir une bonne relation et de veiller à ce que la guérison se poursuive bien après la sortie de l’hôpital.
Julie Sawyer, facilitatrice des soins et infirmière autorisée à l’Institut de cardiologie d’Ottawa, se rend régulièrement à Larga Baffin pour parler aux patients et aux familles de santé cardiaque et leur expliquer qu’ils ont accès au programme de réadaptation cardiovasculaire. Entre 2021 et l’an dernier, elle a vu le nombre de participants du Nunavut au programme passer de 2 à 26. Au-delà des statistiques, dit-elle, ce sont les progrès individuels qui comptent.
« Nous savons que l’expérience du patient est ancrée dans l’émotion, dans la culture, dit-elle. Si quelqu’un se trouve loin de chez lui pour la première fois, ne parle pas bien anglais ou ne communique pas comme nous, c’est à nous de nous adapter. »
Cela signifie entre autres de bien écouter, d’être attentif au langage non verbal et d'utiliser des interprètes, des supports visuels et une approche narrative pour bien transmettre des informations complexes. Il faut aussi être prêt à mettre de côté les façons de faire habituelles.
Pour certains patients, la réadaptation cardiovasculaire passera par un programme en personne de huit semaines comprenant exercices, conseils sur la nutrition, aide psychologique et autres renseignements et services. Pour d’autres, surtout s’ils rentrent chez eux rapidement ou habitent en région éloignée, le suivi se fera plutôt par téléphone, par Zoom ou par l’entremise d’un programme local.
Une approche axée sur la culture
Le respect de la culture inuite est une valeur fondamentale de l'approche préconisée par l’équipe de réadaptation cardiovasculaire, qui travaille d’ailleurs avec des partenaires pour créer du matériel éducatif adapté aux valeurs et à la vision du monde inuites. L’objectif est de traduire l’information en inuktitut, mais aussi d’utiliser des couleurs, des images, un format et un langage qui résonnent auprès des patients.
Pour l’exercice physique, par exemple, au lieu de recommander la marche sur tapis roulant, on pourra suggérer la marche dans la nature, la chasse ou passer du temps à l’extérieur.
Cette approche s'applique aussi aux suivis après la sortie de l’hôpital. De retour à Iqaluit, les gens ont accès aux services de l’Hôpital général Qikiqtani. D’autres se font suivre à distance par des services de télésanté ou utilisent les services infirmiers locaux. Malgré plusieurs défis — connexions internet instables, responsabilités concurrentes ou séjours prolongés sur le territoire — l’équipe de réadaptation cardiovasculaire continue de s’adapter, sachant qu’il est essentiel de faire preuve de souplesse.
Regard vers l’avenir
Ottawa, quand on habite au Nunavut, c’est loin. Mais avec le soutien de Larga Baffin, de l’Institut de cardiologie et d’un cercle grandissant de soignants sensibles aux réalités culturelles, les patients rentrent chez eux plus forts physiquement et mentalement.
Leur parcours peut comprendre d’autres défis — insécurité alimentaire, pénurie de logements, problèmes de santé mentale, rupture du lien avec le territoire ou la famille, etc. Il est important pour les soignants d’avoir conscience de toutes ces choses, car elles façonnent chaque étape du rétablissement.
« Ce travail nous touche personnellement, explique Carry-Anne Dolan. Nos résidents sont des membres de la famille, de nos propres communautés. C’est pourquoi le soutien que nous leur offrons ne peut pas se limiter à la logistique. C’est un contact humain. »
« La portée de notre approche va au-delà d’un seul programme, d’un seul hôpital ou d’une seule population, ajoute Julie Sawyer. C’est une façon de prendre soin de toute personne qui s’est déjà sentie négligée ou incomprise dans le système de santé. »
« Nos patients inuits et autochtones nous ont beaucoup appris, conclut-elle. Ils nous ont enseigné la résilience, l'importance de l'identité culturelle et la puissance des soins prodigués avec respect dans le cadre d’une relation de confiance. »
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